Un décor rare dans la production marseillaise de faïences de petit feu, décor appelé à tort « à la biche»


Par Alain Rathery

A l’occasion de la préparation de l’exposition intitulée l’Asie fantasmée qui ouvrira ses portes en juin prochain au Musée Borély à Marseille, les responsables des Musées de Marseille ont sorti des réserves de ces musées un rafraîchissoir à bouteilles haut d’environ 19cm qui présente un décor singulier extrêmement rare dans la production marseillaise de petit feu.

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Ce décor attribué jusqu’ici à la Veuve Perrin et dit « à la biche » (appellation utilisée par G. Arnaud d’Agnel dans son fameux ouvrage sur la faïence et la porcelaine de Marseille) devrait plutôt s’appeler « aux daims ». Il est en effet directement inspiré de certaines porcelaines chinoises de la famille verte de l’époque contemporaine Quianlong, notamment de vases rouleaux ou de bouteilles piriformes. Ce décor traditionnel connu sous le nom « aux cent daims » est en fait probablement d’inspiration japonaise, les chinois ayant amplement puisé dans le répertoire japonais à une période où les ports de ce pays étaient fermés en raison de la politique isolationniste japonaise instaurée lors de l'époque d'Edo (précisément entre 1650 et 1842). Les daims jouent en effet un rôle important dans la culture japonaise ainsi qu’en témoigne aujourd’hui le véritable culte qui leur est rendu dans le parc de Nara.

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Pièces chinoises à décor aux cent daims
Pièces chinoises à décor aux cent daims

Les peintres marseillais avaient facilement accès à ce type de porcelaines qui étaient assez courantes car produites en grande série pour l’exportation et transitant de ce fait par le port de Marseille. Dans toute cette abondante production, un service en porcelaine polychrome de la période Qianlong a manifestement servi de modèle aux peintres marseillais inventeurs du décor dit « à la biche ». Ce service montre dans le fond de la platerie octogonale deux daims sur un tertre (même attitude et position que dans le décor marseillais) accosté à droite par un rocher percé tandis que les ailes sont ornées quatre motifs symétriques de fleurs (chrysanthèmes et fleurs des Indes). Un plat de ce service (diamètre 34cm) est actuellement en vente chez un antiquaire parisien.

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Photos Galerie Théorème
Photos Galerie Théorème

Le décor dit « à la biche » en faïence de Marseille de petit feu dont on ne connaît que de rares exemplaires, est toujours le même avec la représentation de deux cervidés entourés de fleurs orientalisées en polychromie et dorure. Il combine également le motif du rocher percé transformé en un tronc d'arbre duquel s'élèvent des branchages comportant des chrysanthèmes et petites fleurs des Indes. Ce décor se rattache à la production développée notamment par la manufacture de la Veuve Perrin pour répondre aux goûts d’une clientèle avide de chinoiseries et qui s’est notamment concrétisé par les décors aux fleurs des Indes, au milan ou au chrysanthème (ce dernier à l’imitation de porcelaines de la Compagnie des Indes).

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La pièce la plus célèbre ornée de ce décor est sans conteste un rafraichissoir à deux compartiments avec une séparation interne ajourée et des anses rocailles. Longue de 34cm, cette pièce a appartenu aux collections Gaudry, Lacroix et Damiron. Illustrée dans le Répertoire de la Faïence Française et dans l’ouvrage de G. Arnaud d’Agnel, elle a été présentée à l’Exposition coloniale de 1922 à Marseille ainsi qu’à l’Exposition des Arts Décoratifs à Paris en 1932. Elle est réapparue le 24 octobre 2007 lors de la vente Thuile (n°142 du catalogue de la société de vente Tajan) où elle a été adjugée pour un montant de 16 032€.

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En dehors de ce rafraîchissoir à compartiment et du seau à bouteille évoqué précédemment appartenant aux Musées de Marseille, on ne connaît qu’une paire de verrières dentelées avec ce décor. Malheureusement sa localisation actuelle est inconnue (1) et on n’en possède que deux photos anciennes de médiocre qualité qui ne permettent même pas de s’assurer à cent pour cent qu’il s’agit bien d’une paire, les deux faces d’une même verrière pouvant très bien avoir fait l’objet de deux prises de vue.

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A ce jour aucune autre pièce du service dit « à la biche » n’a pu être retrouvée et le décor d’éventuels plats ou assiettes demeure inconnu ne permettant donc pas de savoir si de la platerie avec ce décor a été produite chez les faïenciers marseillais.

Si les pièces ornées de ce décor posent donc de nombreuses questions, leur origine interpelle également. Jusqu’ici toujours donné à la Veuve Perrin sur la base notamment des écrits de G. Arnaud d’Agnel en l’absence de toute marque de fabrique (notamment du fameux monogramme VP), ce décor pourrait en fait avoir pour origine une autre manufacture. Cette remise en cause d’une attribution traditionnelle repose principalement sur l’analyse de la forme des trois pièces connues et la décoration de pièces similaires qui présentent de nombreux points communs avec des productions de la fabrique de Gaspard Robert. Une communication lors d’une prochaine réunion de l’Académie de Moustiers fera le point sur l’ensemble de ce dossier.

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[1] La localisation actuelle de ces verrières est un grand mystère. L’ancien ouvrage de la collection abc Tardy où elles sont illustrées indique qu’elles appartiennent au Musée Cantini à Marseille mais jusqu’ici elles n’ont pas pu être retrouvées dans les réserves des Musées de Marseille, une erreur de localisation de la part des auteurs de l’ouvrage étant possible.

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